Condorcet
En portant maintenant un regard général sur l’espèce humaine, nous montrerons que la découverte des vraies méthodes dans toutes les sciences, l’étendue des théories qu’elles renferment, leur application à tous les objets de la nature, à tous les besoins des hommes, les lignes de communication qui se sont établies entre elles, le grand nombre de ceux qui les cultivent ; enfin, la multiplication des imprimeries, suffisent pour nous répondre qu’aucune d’elles ne peut descendre désormais au-dessous du point où elle a été portée. Nous ferons observer que les principes de la philosophie, les maximes de la liberté, la connaissance des véritables droits de l’homme et de ses intérêts réels, sont répandus dans un trop grand nombre de nations, et dirigent dans chacune d’elles les opinions d’un trop grand nombre d’hommes éclairés, pour qu’on puisse redouter de les voir jamais retomber dans l’oubli.
Et quelle crainte pourrait-on conserver encore, en voyant que les deux langues qui sont les plus répandues, sont aussi les langues des deux peuples qui jouissent de la liberté la plus entière ; qui en ont le mieux connu les principes ; en sorte que, ni aucune ligue de tyrans, ni aucune des combinaisons politiques possibles, ne peut empêcher de défendre hautement, dans ces deux langues, les droits de la raison, comme ceux de la liberté ?
Mais, si tout nous répond que le genre humain ne doit plus retomber dans son ancienne barbarie ; si tout doit nous rassurer contre ce système pusillanime et corrompu, qui le condamne à d’éternelles oscillations entre la vérité et l’erreur, la liberté et la servitude, nous voyons en même temps les lumières n’occuper encore qu’une faible partie du globe, et le nombre de ceux qui en ont de réelles disparaître devant la masse des hommes livrés aux préjugés et à l’ignorance. Nous voyons de vastes contrées gémissant dans l’esclavage, et n’offrant que des nations, ici dégradées par les vices d’une