Dissertation "1984"
Dans une communication intitulée La subversion du discours utopique, Roger Bozzetto définit d’abord l’utopie comme un genre littéraire spécifique: "en tant que texte, elle relève d’une analyse de la productivité littéraire, en tant que représentation d’une virtualité, présentée comme un paradigme différent de la construction du social, elle renvoie à l’analyse sociologique de l’imaginaire" (Bozetto, 1987, p. 155). En tant que récit, ses antécédents remontent aussi loin qu’à La République de Platon et à Histoire vraie de Lucien. Comme Bozzetto le fait toutefois remarquer, la spécificité de l’utopie comme genre tient dans une volonté d’inscrire l’espace utopique dans un champ référentiel commun. Ainsi, à propos de L’Utopie de Thomas More, qui peut être considéré comme le prototype du genre, Bozzetto écrit:
C’est un état idéal comme celui de Platon, mais il prend figure dans le cadre d’un récit, et accède à la représentation. C’est un lieu imaginaire, comme la Lune ou l’île des morts de Lucien, mais il est situé dans la réalité géographique de notre univers. Cette "figuration imaginaire" qu’est l’Utopie surgira en raison de l’absence d’un lieu effectif où une critique politique puisse se tenir. Elle apparaît donc comme une tentative pour communiquer, par le biais de l’imaginaire, avec la réalité sociale, en l’absence de toute autre perspective (Bozetto, 1987, p. 156-157).
De la définition de Bozzetto on peut retenir une première caractéristique importante de l’utopie, à savoir qu’elle procède d’un principe de comparaison. En fait, l’aspect critique que peut revêtir l’utopie telle qu’on la retrouve chez More ou Bacon tient précisément dans cette "coexistence" de deux univers, l’utopique et le réel, dans un même champ référentiel; l’élément temporel, futurisant des utopies, n’apparaîtra qu’au XIXe siècle avec les premières contre-utopies. Comme l’écrit Bozzetto, cette situation [pour l’utopie], dans l’imaginaire d’un ailleurs (qui