Douter, est-ce désespérer de la vérité ?
Douter, c'est d'abord être dans une incertitude telle qu'elle nous fait hésiter sur le parti à prendre ou l'opinion à adopter. Quand je doute, je ne sais que faire ni penser, et mon jugement se trouve suspendu. Tout le temps que dure le doute en effet, ma volonté ne parvient pas à se décider : tant que je ne renonce à aucune des alternatives qui s'offrent à moi, c'est à l'acte même de juger que je renonce. Car enfin, juger, c'est affirmer ou nier, ce qui implique que ma volonté sorte de l'embarras du choix, tranche et se décide. Mais c'est précisément lorsque je veux m'assurer de bien choisir, c'est-à-dire de ne pas me tromper, que le doute s'empare de moi et me paralyse : je retiens mon jugement tant que me font défaut les raisons qui me permettraient de trancher. En ce sens donc, celui qui doute redoute par-dessus tout l'erreur et aspire à être dans le vrai, et c'est précisément parce qu'il ignore ce qu'il en est en vérité qu'il se met à douter. Le doute, loin de nous conduire à renoncer à la vérité, serait au contraire un passage obligé pour celui qui, comme le disait Descartes, refuse de se décider « pour de faibles raisons ».
Cependant, lorsqu'un doute me saisit, je me trouve bien dans une situation telle que ce que je tenais pour vrai se trouve ébranlé : j'étais persuadé que c'était vrai, et je sais maintenant que c'est faux. Qui me dit alors qu'il n'en va pas de même pour toutes mes croyances ? Douter, n'est-ce pas alors désespérer de la vérité, c'est-à-dire désespérer qu'on puisse jamais l'atteindre ?
Mais quand le doute s'installe dans mon esprit, ne suis-je pas précisément en mesure de réformer ma pensée et de me défaire de mon erreur éventuelle, progressant ainsi vers le vrai ? C'est ici que le doute acquiert sa valeur proprement philosophique : d'une hésitation embarrassée dictée par la prudence, d'une incertitude subie qui attend de pouvoir se décider, il est en mesure de devenir non plus passif et indésirable, mais actif, convertissant