Fiche le voile noir
Une autobiographie en fragments
Le Voile Noir est un récit autobiographique à la fois classique et original. Classique car l’évocation des souvenirs s’y présente de manière franche et sincère, sans astuces narratives et autres détours fictionnels. Le pacte autobiographique est explicite dès l’avant-propos qui précède la dédicace : la narratrice écrit à la première personne et va parler de ses parents, de « [son] enfance coupée en deux » (p 7), et elle précise qu’elle n’aura pas recours « au masque de la fiction » ; si l’on ajoute à cela la manière avec laquelle elle se montre en train d’écrire le livre (« dédier ces pages », « au début de ce livre », puis plus loin « une lettre dont je parlerai peut-être plus tard » p 15), l’explicitation du rapport entre le nom de l’époux de sa grand-mère (Duperray) et son propre nom de scène (p 48), on conclut que l’identité narrateur-auteur-personnage, règle de base de l’autobiographie selon P. Lejeune, ne fait aucun doute ici. Anny Duperey explique à un moment son besoin d’écrire une œuvre non-fictionnelle (p 17) ; dans le passé, il lui était d’ailleurs déjà arrivé de se raconter par l’intermédiaire d’un personnage de fiction ( voir p 119).
Le but de l’auteur est aussi clarifié dès l’avant-propos : montrer les photos du père en les insérant dans une démarche visant à combler un trou de mémoire de huit ans, c’est-à-dire toute la partie de sa vie précédant la mort accidentelle et brutale de ses parents. C’est là que le projet de l’auteur quitte le sentier d’une autobiographie classique : le récit ne prend pas proprement appui sur un tissu de souvenirs cohérents, du « prêt-à-raconter », mais sur du vide où gravitent quelques ilôts, des « flashs » comme les appelle l’auteur (p 24, 234) qui vont constituer une partie du texte, tandis que l’autre partie sera faite du commentaire des photos ou de réflexions personnelles, notamment sur l’écriture, ou même d’anecdotes concernant le présent (les jeux