Le bruit se répandit bientôt qu'il y avait un Huron au prieuré. La bonne compagnie du canton s'empressa d'y venir souper. L'abbé de Saint−Yves y vint avec mademoiselle sa soeur, jeune basse−brette, fort jolie et très bien élevée. Le bailli, le receveur des tailles, et leurs femmes furent du souper. On plaça l'étranger entre mademoiselle de Kerkabon et mademoiselle de Saint−Yves. Tout le monde le regardait avec admiration; tout le monde lui parlait et l'interrogeait à−la−fois ; le Huron ne s'en émouvait pas. Il semblait qu'il eût pris pour sa devise celle de milord Bolingbroke, Nihil admirari. Mais à la fin, excédé de tant de bruit, il leur dit avec assez de douceur, mais avec un peu de fermeté : Messieurs, dans mon pays on parle l'un après l'autre ; comment voulez−vous que je vous réponde quand vous m'empêchez de vous entendre ? La raison fait toujours rentrer les hommes en eux−mêmes pour quelques moments: il se fit un grand silence. Monsieur le bailli, qui s'emparait toujours des étrangers dans quelque maison qu'il se trouvât, et qui était le plus grand questionneur de la province, lui dit en ouvrant la bouche d'un demi−pied : Monsieur, comment vous nommez−vous ? On m'a toujours appelé l'Ingénu, reprit le Huron, et on m'a confirmé ce nom en Angleterre, parceque je dis toujours naïvement ce que je pense, comme je fais tout ce que je veux.Comment, étant né Huron, avez−vous pu, monsieur, venir en Angleterre ? C'est qu'on m'y a mené ; j'ai été fait, dans un combat, prisonnier par les Anglais, après m'être assez bien défendu ; et les Anglais, qui aiment la bravoure, parcequ'ils sont braves et qu'ils sont aussi honnêtes que nous, m'ayant proposé de me rendre à mes parents ou de venir en Angleterre, j'acceptai le dernier parti, parceque de mon naturel j'aime passionnément à voir du pays.Mais, monsieur, dit le bailli avec son ton imposant, comment avez−vous pu abandonner ainsi père et mère ?C'est que je n'ai jamais connu ni père ni mère, dit l'étranger. La compagnie