Face à ces questions éminemment philosophiques auxquelles je me garderais d’apporter une réponse définitive et péremptoire, je pense que l’on peut trouver quelques éléments de réponse dans Samarcande. Omar Khayyâm est-il vraiment un lâche ?L’homme de Nichapour, s’il fuit la violence, cherche d’abord à discuter ; l’argumentation et le débat raisonné sont ses principales armes. Dès les premières pages, il impressionne Abou-Taher par la qualité de sa rhétorique. Alors qu’Hassan Sabbah met son intelligence au service de sa haine, utilisant sa force de persuasion pour recruter de nouveaux adeptes, le poète persan, lui, sait insuffler chez son auditoire un sentiment de liberté et de justice, réussissant parfois à humaniser les tyrans les plus cruels. Ne parviens-t-il pas, par son argumentation, à empêcher Malikshah de mettre à mort Hassan Sabbah ? Ne réussit-il pas à annihiler toute idée de violence dans l’esprit de Vartan, (soldat et meurtrier de Malikshah), pourtant déterminé à tuer Hassan Sabbah de ses propres mains ? La lecture des ses Robaïyat ne transforme-t-elle pas le descendant de celui-ci en défenseur de la liberté et de l’amour, sonnant le glas de la terrible Charia alors en vigueur dans la forteresse d’Alamout?Même si Omar Khayyâm se heurte parfois à son échec face à la violence (Djahane meurt sans qu’il ne puisse la sauver) qui entraîne chez lui des réactions désabusées (en témoigne la parabole des Trois amis, où Khayyâm semble se dépeindre lui-même comme un lâche fuyant devant l’adversité), la sagesse de son esprit semble planer sur tous ceux qui connaissent sa pensée.Djamaleddine, Fazel, Chirine… tous vouent une admiration sans borne au poète persan, pourtant à mille lieux de leur combat pour la liberté, près de 800 ans plus tard.