Gargantua
La gestation de Gargantua est extraordinaire puisqu’elle dure onze mois : Alcofribas fait référence à Neptune et à Hercule, un dieu et un demi-dieu, inscrivant ainsi Gargantua dans le surhumain. Sa naissance par l’oreille rappelle aussi deux dieux de la mythologie grecque : Dionysos et Athéna. Le choix de l’oreille n’est pas anodin, si l’on considère que le personnage de Gargantua évolue grâce à l’écoute attentive de ses maîtres. Le chapitre 6, racontant sa naissance, est très court ainsi que le chapitre 7, évoquant ses deux premières années. Les premiers mots de Gargantua : « À boire », répétés trois fois, montrent qu’il sait donc déjà parler. Mais ce qu’il dit pour l’instant le réduit à un gosier, comme son père le constate aussitôt. C’est pourquoi il lui donne ce nom signifiant : quel grand gosier tu as. Gargantua n’apparaît donc pas comme un « infans » (mot latin signifiant : ne parlant pas et qui a donné le mot « enfant ») mais ses paroles restent orientées sur ses préoccupations essentielles, toujours proches de l’animalité : manger, boire, dormir, « conchier ». La scatologie est omniprésente dans les premiers chapitres du roman. L’appétit de Gargantua est en effet démesuré, à l’aune de sa taille. Le narrateur ne précise ni sa taille ni son poids, comme on le fait habituellement pour un nouveau-né. Son gigantisme est d’abord évoqué par la quantité de lait dont il a besoin, tiré de dix-sept mille neuf cents vaches chaque jour. Par une ellipse dans le temps : « il passa à ce régime un an et dix mois » (p. 95). Le narrateur résume cette période peu instructive, grâce à une formule emphatique : « en ceste stat ». Dans les chapitres suivants, il utilise le même procédé pour permettre au lecteur d’imaginer son gigantisme. Il n’évoque pas sa taille mais la charrette pour le transporter, il précise le nombre d’aunes nécessaires à sa braguette, ses dix-huit mentons (p. 95), et les quantités