Incipit jacque damour
|1 | Là-bas, à Nouméa (1), lorsque Jacques Damour regardait l’horizon vide de la mer, il croyait y voir parfois |
| |toute son histoire, les misères du siège, les colères de la commune (2), puis cet arrachement qui l’avait jeté |
| |si loin, meurtri et comme assommé. Ce n'était pas une vision nette, des souvenirs où il se plaisait et |
| |s'attendrissait, mais la sourde rumination d'une intelligence obscurcie, qui revenait d'elle-même à certains |
|5 |faits restés debout et précis, dans l'écroulement du reste. |
| |À vingt-six ans, Jacques avait épousé Félicie, une grande belle fille de dix-huit ans, la nièce d'une fruitière|
| |de La Villette (3), qui lui louait une chambre. Lui, était ciseleur (4) sur métaux et gagnait jusqu'à des douze|
| |francs pas jour (5); elle, avait d'abord été couturière; mais, comme ils eurent tout de suite un garçon, elle |
| |arriva bien juste à nourrir le petit et à soigner le ménage. Eugène poussait gaillardement. Neuf ans plus tard,|
|10 |une fille vint à son tour; et celle-là, Louise, resta longtemps si chétive, qu'ils dépensèrent beaucoup en |
| |médecins et en drogues. Pourtant, le ménage n'était pas malheureux. Damour faisait bien parfois le lundi (6); |
| |seulement, il se montrait raisonnable, allait se coucher, s'il avait trop bu, et retournait le lendemain au |
| |travail, en se traitant lui-même de propre à rien. Dès l'âge de douze ans, Eugène fut mis à l'étau. Le gamin |
| |savait à peine lire et écrire, qu'il gagnait déjà sa vie. Félicie, très propre, menait la maison en femme |
|15 |adroite et prudente, un peu « chienne » peut-être, disait le père, car elle leur servait des légumes plus |
| |souvent que de la viande, pour mettre des sous de côté, en cas de malheur. Ce fut leur meilleure