La beauté de l'homme
Texte 1: Initiales de Paule du Bouchet
(partie 1)
C’était une fin d’après-midi d’avril de l’année 1918. La journée avait eu cette douceur fragile des premiers jours de printemps et la soirée s’annonçait calme. Les parisiens la goûtaient d’autant plus qu’ils n’avaient pas entendu tonner le canon allemand depuis quelques jours et que là, à Paris, ce Paris si meurtri depuis le début de la guerre, il semblait qu’on allât vers une sorte de paix.En pensant à ce mot de « paix », Juliette Swift esquissa un sourire. Elle regarda l’heure sur sa montre d’argent qu’elle portait en sautoir. 5 h 20. Le magasin allait fermer dans une grande demi-heure. En sortant, elle irait flâner le long du quai, elle s’attarderait à regarder trembler les feuilles naissantes au-dessus de l’eau, avant de se rendre chez sa mère qu’elle n’avait pas vue depuis plusieurs jours. Juliette entreprit de ranger ses stocks sous l’étalage. Elle était employée aux grands magasins de la Belle Jardinière, face au Pont-Neuf. Elle tenait le rayon « Toilettes de dames ». Les clientes encore nombreusess se pressaient à l’unique caisse près de l’entrée, non loin du rayon de Juliette. Dans le brouhaha des voix, elle cueillait des bribes de phrases. Elle s’amusait souvent à regarder les visages et à imaginer les vies. Pour l’heure, les propos qui lui parvenaient évoquaient la terrible offensive allemande dans la Somme, la difficulté qu’avaient les troupes française à tenir malgré le renfort des alliés anglais et américains, les blessés, les morts, les fils, les pères, les maris, les frères, dont on était sans nouvelles.La douleur se lisait sur les visages, sous le masque de la pudeur, de la dignité, de la compassion, mais la douleur était là, dans cette file de femmes. La bataille faisait rage depuis bientôt trois semaines là-haut, dans le Nord, paraissait plus meurtrière, si la chose était possible, que toutes celles dont Juliette avait entendu parler jusqu’alors.Tout à coup,