La francophonie - étude de nadia harris
PORTRAIT D’UNE ÉCRIVAINE FRANCOPHONENadia HARRIS
American University, WashingtonJe voudrais parler de deux romans d’Andrée Chedid, La Cité fertile et L’Enfant multiple, hypertexte de la nouvelle L’Enfant des manèges. Ces deux récits dont la production s’échelonne sur une vingtaine d’années – de 1972 à 1989 – racontent essentiellement la même histoire qui a pour cadre Paris et pour protagoniste un clown. Ils attestent l’influence du carnaval dans l’univers chédidien et en révèlent la teneur subversive . Je vais les confronter pour dégager leurs ressemblances ainsi que les variations diégétiques amplifiant le noyau commun et générant deux récits distincts. Les divergences ainsi mises au jour établiront la place de chacun de ces deux romans dans l’élaboration du discours oppositionnel sous-tendant l’écriture chédidienne.La Cité fertile est le récit d’une intervention de la femme-bouffon Aléfa qui permettra à sa jeune voisine Livie de résoudre la crise existentielle qu’elle traverse. Habitée d’un besoin de confort et de sécurité matérielle difficile à satisfaire dans la vie qu’elle partageait avec son mari saltimbanque, la jeune femme l’avait quitté pour retourner dans sa famille. Au cours d’une fête donnée en l’honneur de son retour au bercail, elle était, sous l’effet de l’alcool, devenue la proie d’un fantasme dans lequel Aléfa tenait le rôle principal et qui avait eu pour elle une fonction initiatique. Vêtue d’un costume d’Arlequin, Aléfa faisait irruption dans le salon bourgeois, le remplissait de son gros rire et le transformait en place publique où, sous le regard fasciné de Livie, simultanément à la soirée mondaine et la parodiant, une fête carnavalesque commençait à se dérouler. Dans le "monde à l’envers" dans lequel Livie était ainsi précipitée, l’ordre bourgeois, ses hiérarchies et ses valeurs n’avaient plus cours. Aussi la jeune femme pouvait-elle enfin voir clair dans son cœur et discerner sa vocation