La relation à l'autre dans l'espace
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"Autrui, c'est d'abord la fuite permanente des choses vers un terme que je saisis à la fois comme objet à une certaine distance de moi, et qui m'échappe en tant qu'il déplie autour de lui ses propres distances. Mais cette désagrégation gagne de proche en proche ; s'il existe entre la pelouse et autrui un rapport sans distance et créateur de distance, il en existe nécessairement un entre autrui et la statue qui est sur son socle au milieu de la pelouse, entre autrui et les grands marronniers qui bordent l'allée ; c'est un espace tout entier qui se groupe autour d'autrui et cet espace est fait avec mon espace ; c'est un regroupement auquel j'assiste et qui m'échappe, de tous les objets qui peuplent mon univers. Ce regroupement ne s'arrête pas là ; le gazon est chose qualifiée : c'est ce gazon vert qui existe pour autrui ; en ce sens la qualité même de l'objet, son vert profond et cru se trouve en relation directe avec cet homme ; ce vert tourne vers autrui une face qui m'échappe. Je saisis la relation du vert à autrui comme un rapport objectif, mais je ne puis saisir le vert comme il apparaît à autrui. Ainsi tout à coup un objet est apparu qui m'a volé le monde. Tout est en place, tout existe toujours pour moi, mais tout est parcouru par une fuite invisible et figée vers un objet nouveau. L'apparition d'autrui dans le monde correspond donc à un glissement figé de tout l'univers, à une décentration du monde qui mine par en dessous la centralisation que j'opère dans le même temps."