La réflexion philosophique doit-elle et peut-elle être utile ?
Le réflexion philosophique paraît frappée d’une ambiguïté : comme recherche théorique sur les principes fondamentaux de la pensée et de l’action, elle semble se détourner des sciences et des arts utilisables pour résoudre les problèmes techniques de la vie pratique (agencement des moyens en vue de réaliser des fins déterminées dans un contexte particulier), mais elle se présente aussi comme une recherche du souverain bien, de la sagesse pour tout homme, par delà ses soucis quotidiens et l’urgence de la satisfaction de ses désirs particuliers. Elle prétend de plus remettre en question la valeur de ses derniers pour nous libérer des contraintes et des déceptions qu’ils engendrent. Mais n’est-ce pas au nom d’une utilité plus haute concernant la totalité de l’existence humaine qu’elle se présente comme inutile vis-à-vis des problèmes de la vie pragmatique ordinaire dont le seul critère est la satisfaction de nos désirs personnels et sociaux particuliers ? Mais ce faisant n’entretient-elle pas l’illusion que l’on pourrait bien-vivre en renonçant à désirer ce qui motive la plupart des comportements et actions humains : La santé, l’argent, la pouvoir, les honneurs, les plaisirs sexuels etc.. ?
Cette sagesse, cette recherche de l’ataraxie, ce détournement de l’intérêt vital, ce refus des plaisirs extérieurs les plus courants, ne seraient-ils pas la marque de son impuissance, de son incapacité à être utile à la plupart des hommes, ce qui disqualifierait, du même coup, sa prétention à l’universalité ? Or, si elle ne peut contribuer au succès dans tous les domaines de la vie privée et publique, si elle ne peut délivrer de recette ou méthode valant pour le bonheur ordinaire ne serait-ce pas que celui-ci lui apparaît illusoire ? Il est possible qu’elle doive servir à autre chose qu’à la réussite extérieure de nos actions et qu’en ce sens elle ne doit pas être utile, ce qui justifierait qu’elle ne le puisse pas ;