le cauchemar des deux meres
Issu du recueil « Pendant la guerre »
J'ai vu, dans un rêve attristé,
Deux chaumières presque pareilles,
Et deux voix dans l'obscurité,
Plaintives, qui frappaient mes oreilles.
Chaque maison était cachée
Dans un de ces vallons prospère
D'où la guerre avait arraché
Bien des enfants et bien des pères ...
La neige posait lentement
Ses flocons sur les branches mortes ;
La bise au long gémissement
Pleurait par les fentes des portes
Les deux foyers se ressemblaient,
Et devant le feu des broussailles,
Deux mères, dont les doigts tremblaient
Songeaient aux lointaines batailles.
Leur esprit voyageait là-bas :
Point de lettre qui les rassure !
Quand les enfants sont au combat !
Pour les mères tout est blessure
Et j'entendais, au même instant,
Sur un affreux champ de carnage,
Contre la souffrance luttant,
Gémir deux enfants du même âge
Les deux soldats se ressemblaient,
Mourant quand il fait bon vivre ;
Et leurs pauvres membres tremblaient,
Bleuis par la bise et le givre.
Ils s'éteignaient dans un ravin,
En proie aux angoisses dernières ;
Leurs yeux de loin suivaient de loin en vain
La longue file des civières.
Etrange réveil du passé,
Qui précède l'adieu suprême,
Evoquant pour chaque blessé
La vision de ce qu'il aime ;
Et ces deux âmes, à l'heure sacrée
Où la mort, en passant, vous touche
Jetaient l'appel désespéré !
Que les petits ont à la bouche
Les yeux remplis de souvenirs
Une main sur la plaie grande ouverte
Comme s'ils sentaient le froid venir
Dans la grande plaine déserte :
" Maman !... Maman !
- Viens, je vais mourir !