Le personnage burlesque
Le personnage burlesque est-il héroïque ?
« Il rivalise presque avec celui d’Abraham Lincoln en tant qu’archétype américain : hiératique, fier, presque sublime ; inoubliable[1] », écrivait James Agee pour décrire le visage de Buster Keaton. Description digne de celle d’un héros antique ; et est-ce vraiment la première image qui nous vient à l’esprit en voyant ce petit homme frêle ridiculement attaché à une vache dans Go West, ou poursuivi par des hordes de fiancées dans Seven Chances ? La réponse est définitivement négative : la silhouette de Keaton est même plutôt comique, et si on ne l’associe pas à un héros, c’est que celui-ci est par essence tragique ; ceux qu’on nomme « héros comiques » ne revêtent souvent ce titre que par leurs qualités de protagonistes, or c’est à l’héroïsme lui-même que nous nous intéressons ici. Le personnage héroïque, à qui l’imaginaire collectif associe la beauté, le courage et la force physique, n’a rien de burlesque ; mais on peut en revanche se demander dans quelle mesure le personnage burlesque peut être héroïque.
Le personnage burlesque ne mérite cet adjectif que parce qu’il n’est précisément pas un héros : le héros n’est en soi pas comique, il a donc fallu inventer un personnage qui le soit à sa place, et le cinéma, pour faire rire, choisit dès ses débuts la figure de l’anti-héros. Celui-ci peut s’opposer de différentes manières au héros conventionnel. Il peut être son contraire sur le plan de la noblesse d’âme (les premiers Charlots, ainsi que tous les sketches du slapstick, mettent en scène des personnages foncièrement méchants : les coups de pieds aux fesses de Charlot dentiste ou de Charlot à la plage (1914) sont violents et gratuits, et ne différencient que sur un plan physique le protagoniste de la brute à laquelle il s’oppose), de l’appartenance sociale (prenons l’exemple extrême de Charlot, vagabond), de l’apparence et de la force physique (la seule évocation des silhouettes de