Encore ce « christ » diffère-t-il considérablement des figures prophétiques qu’on trouve chez Vigny ou Hugo, dans « Moïse » ou « Fonction du poète », car l’artiste n’est plus ici l’interprète de Dieu. Face à un monde désolé, laid, amoral et dénué de sens, la beauté poétique a d’abord l’action balsamique (vers 10) de la résine du pin. L’œuvre et la passion du poète est de comprendre et d’absorber le monde, de compatir à sa misère, de tirer de ce spectacle et de sa peine les « larmes d’or » que sont ses vers. Or, ce faisant, il le rachète et le justifie. Il s’agit à proprement parler d’une transmutation, que souligne la rime « trésor » / « or » : de la hideur du monde le poète fait la splendeur du poème. Bien sûr, cette transmutation est spirituelle et passe par le refus de l’utilitarisme et du mercantilisme : à l’onéreuse résine que convoitait l’homme âpre au gain, le poète substitue l’or « plus fertile et plus beau » de son esprit. Le monde réel ne semble dès lors avoir de valeur qu’après et grâce à cette transmutation. La souffrance du poète, celle de la compassion, de la solitude et du labor limae, est ainsi le moyen d’une rédemption par le beau, par la grâce de l’esprit poétique.
À la fois exposition et illustration de la pensée poétique de son auteur, « Le Pin des landes » accomplit ostensiblement son propre projet, puisque la triste chose vue annoncée dès les premiers mots (« on ne voit ») s’est transfigurée en une belle vision allégorique, œuvre du poète. Ce faisant, Gautier y redéfinit la figure du poète démiurge dans un monde désenchanté et qui ne peut trouver de sens que dans l’œuvre d’art : seule elle le justifie, parce que seule elle peut de lui faire beauté. À ce titre, il marque une étape décisive du renouvellement tragique de l’ambition poétique, amorcé aussi par Musset1 et qui se poursuivra à travers les
Parnassiens jusqu’à Mallarmé.
Romain