Le père goriot et la paternité
Goriot a donné son nom à l’œuvre, et son patronyme a été accolé à l’appellation de père. Cette dénomination a deux origines.
La première est peu flatteuse. Elle est due à la minable jalousie de Madame Vauquer, à sa vengeance mesquine, à sa sournoise cruauté : elle entend faire endosser à un innocent la responsabilité des déboires financiers qui ont fait suite aux impayés de la comtesse de l’Ambermesnil. Cette dénomination familière traduit la baisse de considération, puis le mépris déguisé de l’hôtesse qui perçoit la baisse des revenus de son pensionnaire : « Malheureusement, à la fin de la deuxième année, monsieur Goriot justifia les bavardages dont il était l’objet, en demandant à madame Vauquer de passer au second étage, et de réduire sa pension à neuf cents francs. Il eut besoin d’une si stricte économie qu’il ne fit plus de feu chez lui pendant l’hiver. La veuve Vauquer voulut être payée d’avance, à quoi consentit monsieur Goriot, que dès lors elle nomma le père Goriot. Ce fut à qui devinerait les causes de cette décadence. »
La seconde que le lecteur averti découvre progressivement est plus élogieuse. Elle correspond au projet de Balzac. Elle est une qualification absolue : Goriot est fondamentalement un père. Il n’existe que comme père. Balzac entend peindre dans ce personnage la passion paternelle. Cette vertu poussée à l’extrême devient un martyre. Comme toute passion, elle est aveuglement et côtoie la folie. Balzac veut faire œuvre de moraliste en étudiant un beau spécimen de vertu dégénérée5. Balzac cultive le paradoxe en montrant magistralement que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Goriot s’enfonce peu à peu dans sa monomanie, perdant tout contact avec le réel lorsqu’il ne s’agit plus du bonheur de ses filles. Sa déchéance est d’autant plus pathétique que le pauvre père s’illusionne et qu’il se trompe radicalement dans sa conception de la paternité. Pour lui, l’idéal du père est de satisfaire les moindres