Le Reflet Didier Daenicks
Toujours en train de gueuler, d'éructer, d'agonir ! Derrière son dos, ça fusait, les insultes. Le porc, l'ordure, le führer... Impossible de tenir autrement. Les courbettes pardevant, les salamalecs, le miel, le cirage. Et l'antidote dès la porte franchie. Apprendre à sourire dans le vide en serrant les dents. Le pire, c'était les premiers temps, quand on arrivait à son service, alléché par le salaire de mille dollars nourri-logé... Il vous laissait approcher en vous regardant de ses yeux morts et vous plaquait les mains sur le visage, vérifiant l'ourlé des lèvres, l'épatement du nez, le grain de la peau, le crépu des cheveux. Au moindre doute le vieux se mettait à hurler de dégoût.
« Enfants de pute, virez-moi ça, c'est un Noir ! Le type y allait de sa protestation.
- Non, monsieur, je vous jure... »
Mais ça ne servait à rien. Il repartait plein d'amertume, un billet de cent dollars scotché sur la bouche, incapable de comprendre qu'il était tombé du bon côté et que l'horreur attendait les rescapés surpayés de la sélection.
L'aveugle habitait un château construit à flanc de colline, à quelques kilomètres de
Westwood, et toute la communauté vivait en complète autarcie sur les terres environnantes, cultivant le blé, cuisant le pain, élevant le bétail. Le vieux ne s'autorisait qu'un luxe : l'opéra et les cantatrices blanches qu'il faisait venir chaque fin de semaine et qui braillaient toutes fenêtres ouvertes, affolant la basse-cour.
Il ne dormait pratiquement pas, comme si l'obscurité qui l'accompagnait depuis sa naissance lui épargnait la fatigue. Ses gens lui devaient vingt-quatre heures quotidiennes d'allégeance. Le toubib vivait en état d'urgence permanent et tenait grâce aux cocktails de
Valium et de Témesta qu'il s'ingurgitait matin midi et soir. Le vieux prenait un malin plaisir à l'asticoter, contestant ses diagnostics, refusant ses potions. Ces persécutions n'empêchèrent pas le docteur d'avertir son patient de la découverte