Le rôle de la poésie
(Dans ce texte l’auteur parle de sa mère…)
Elle se disait que ses enfants et petits-enfants l’aimaient bien, mais qu’elle leur semblait d’un autre âge, dépassée, ne comprenant au fond pas grand-chose, et que tout ce qu’elle pourrait dire et faire ne servirait à rien. Elle avait été jeune, elle aussi, et se le rappelait ; mais elle avait l’impression qu’autour d’elle on ne parvenait pas à le croire ; elle était pour tout le monde une vieille de toujours. Or elle avait dansé, rêvé, désiré, attendu beaucoup de choses ; et pourvu qu’elle ne se regardât pas dans une glace. Il ne lui semblait qu’elle eût tellement changé. On ne voyait d’elle que ce visage ridé, ses lunettes toujours de travers qu’elle retenait par un élastique, cette démarche un peu cahotante, toute la laideur de la vieillesse. Bien mieux, elle avait l’impression que sa présence gênait. Elle remarqua qu’on la recevait volontiers, pour un séjour chez l’un de ses enfants, mais personne ne la retenait au bout d’une semaine, si elle parlait de partir. En effet, quel plaisir à recevoir une vieille ? Sans doute, se disait-elle, est-ce une bonne préparation au départ définitif, et même une grâce de Dieu ; se sentir de trop partout. Elle n’aurait donc presque plus rien à quitter. Mais elle ne pouvait se défendre d’être triste en songeant à cela.
José Cabanis, Les cartes du temps, 1962
ETUDE DE TEXTE (6PTS)
1) Dans cette analyse psychologique, l’auteur présente sa mère à travers deux regards : celui des autres et celui de la mère elle-même.
a) Comment la vieille femme était-elle perçue par son entourage ?
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b) Comment se voyait-elle-même ?