Le silence évoquateur
I Le langage est le propre de l'homme. Pas d'humanité sans communication linguistique. Muré dans le silence, Victor de l'Aveyron, l'enfant sauvage, ne peut pas développer des facultés proprement humaines. La parole échangée crée un "tissu commun" (Merleau-Ponty). Elle est le lieu de l'intersubjectivité. Grégoire, dans La Métamorphose de Kafka, meurt, non pas de s'être transformé en cloporte, mais de ne pas pouvoir, étant devenu cloporte, communiquer avec ses proches. La parole ne me permet pas seulement de trouver l'autre, elle me permet aussi de me retrouver en démasquant l'autre en moi. La parole est un chemin vers l'inconscient; le silence m'enferme dans la névrose (Freud). Il y a des choses qui ne peuvent être faites que parce qu'elles sont dites. Ce sont les performatifs (Austin) : Faire une promesse, baptiser... Il y a des relations qui n'existent que dans et par le langage (la négation, les relations logiques, les abstractions, la pensée conceptuelle en général ...) La parole échangée est l'antidote de la violence. D'une part parce qu'elle la désamorce : "[L'homme accepte le dialogue], parce que la seule autre issue est la violence : quand on n’est pas du même avis, il faut se mettre d’accord ou se battre jusqu’à ce que l’une des thèses disparaisse avec celui qui l’a défendue." (Éric Weil). D'autre part parce qu'elle la dénonce : "J'accuse !" (Zola). Il est des circonstances où l'on doit rompre le silence.
II
On ne peut pas tout dire. Il y a de l'indicible. "Ce dont on ne peut parler, il faut le taire" dit Wittgenstein. Le langage peut nous trahir. On n'a pas toujours "les mots pour le dire". (Ex. : Expression des sentiments, des passions). La parole ne peut pas "épuiser" la réalité. On ne doit pas tout dire. Il y a ce qui "ne se dit pas" (un secret, une indiscrétion, une parole blessante...).