le travail comme un corvée
Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la corvée, ces journées de travail collectives gratuites dues à la société par les roturiers pour assurer notamment l’entretien des routes, fait l’objet d’un intense débat concernant sa légitimité. Partant des mots la désignant, cet article explore comment la corvée fut progressivement comprise comme une catégorie de travail, sa signification évoluant alors en lien avec la conceptualisation de ce dernier, notamment sous le rapport du salariat et de la propriété : si pour ses détracteurs, les Physiocrates notamment, la corvée n’était rien d’autre qu’un travail forcé, tout le monde ne la percevait pas ainsi. Si le débat fut vif, c’est également parce que la corvée était un objet en lien avec un certain ordre social, potentiellement remis en cause par l’émergence d’une catégorie de travail indépendante des sujets qui l’exercent, d’un travail abstrait considéré d’abord sous son rapport économique.
L’idée que l’essor du capitalisme productif serait marqué par l’avènement du contrat salarial et le triomphe du travail libre, tandis que le recours au travail forcé aurait dominé l’organisation de la production dans les économies anciennes et féodales, fait l’objet depuis quelques années d’une relecture critique1. La consécration du travail salarié n’est plus considérée comme le résultat d’un vaste mouvement historique de libération et d’émancipation, d’autant que l’économie capitaliste s’accommode aisément des formes de travail contraint. Si, depuis plusieurs décennies, les ouvrages consacrés aux différentes formes d’exploitation du travail se sont multipliés, la corvée reste une réalité encore mal connue. Les corvées seigneuriales et leur déclin progressif ont fait l’objet d’une riche historiographie, mais la corvée royale a été étudiée essentiellement à travers des expériences réformatrices engagées à partir des années 1760-1770.
2 J.-M. Goger, La Politique routière en France de 1716 à 1815, thèse de doctorat