Les déchargeurs de charbons
Cette toile a déjà deux titres, les Charbonniers ou les Déchargeurs de charbon. On aurait pu lui en inventer un troisième : les Coltineurs. C'est en effet le nom que l'on donnait aux dockers et aux débardeurs, chargés de se coltiner les cargaisons sur le dos. Dur métier.
En cette fin de 19eme siècle, on ne sait plus se passer du charbon, l'énergie principale de la révolution industrielle. Les usines, dont Claude Monet a figuré les cheminées fumantes à l'arrière-plan, le dévorent. Le charbon est extrait dans le Nord de la France, ou importé de Belgique, d'Allemagne et de Grande-Bretagne. Il est transporté par péniches le long des rivières et des canaux. Des montagnes de charbon font route vers la région parisienne.
Arrivé à bon port, il faut le décharger. Le plus souvent, pas de grues : on est en 1875, et le recours à la force musculaire reste très courant. Les déchargeurs posent sur leur épaule un panier conique empli de charbon, marchent en équilibre sur des planches qui relient la barge au quai, et vont vider les paniers dans des charrettes qui conduiront le combustible jusqu'aux usines. Au retour, les charbonniers posent le panier renversé sur leur tête, par dessus leur chapeau. Ils détendent leurs bras et leurs épaules pendant un instant.
Par le thème traité, cette toile est tout à fait unique dans l'oeuvre de Monet, au point qu'on pourrait douter qu'elle est de lui, le peintre des paysages riants et des loisirs bourgeois. Quelle mouche l'a piqué de faire dans la peinture sociale ? Veut-il dénoncer la condition ouvrière, à la manière de son ami Zola ?
Les couleurs mornes du tableau, sa construction fermée semblent mettre en avant la pénibilité du travail. Les hommes, réduits à l'état de bêtes de somme, cheminent comme des fourmis. Ils marchent en cadence, tous du même pas. Pas d'échappatoire : l'arche du pont écrase l'horizon, la barge