Les essaies de montaigne chapitre xxvi
Livre I, chapitre XXVI, « Sur l’éducation des enfants »
Pour un enfant de maison noble qui recherche l’étude des lettres, non pour le gain ( car un but aussi vil est indigne de la grâce et de la faveur des Muses ; d’autre part il concerne les autres et dépend d’eux), ni pour autant pour les avantages extérieurs que pour les siens propres et pour qu’il s’enrichisse et s’en pare au-dedans, moi, ayant plutôt envie de faire de lui un homme habile qu’un homme savant, je voudrais aussi qu’on fût soucieux de lui choisir un guide qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine et qu’on exigeât chez celui-ci les deux qualités, mais plus la valeur morale et l’intelligence que la science, et je souhaiterais qu’il se comportât dans l’exercice de sa charge d’une manière nouvelle.
On ne cesse de criailler à nos oreilles d’enfants, comme si l’on versait dans un entonnoir, et notre rôle, ce n’est que de redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais que le précepteur corrigeât ce point de la méthode usuelle et que, d’entrée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la piste , en lui faisant goûter les choses, les choisir et les discerner d’elle-même, en lui ouvrant quelquefois le chemin, quelquefois en le lui faisant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcélias faisaient d’abord parler leurs disciples, et puis ils leur parlaient. « Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent »
Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son allure, juger aussi jusqu’à quel point il doit se rabaisser pour s’adapter à sa force. Faute d’apprécier ce rapport, nous gâtons tout : savoir le discerner, puis y conformer sa conduite avec une juste mesure, c’est l’une des tâches les lus ardues que je connaisse ; savoir descendre au niveau des allures puériles du disciple et les guider est l’effet d’une