Les idée
UN AUTRE : — J'en sais bien d'autres. Je viens de Cracovie1, où j'ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cents magistrats qu'on a tués, et il parait qu'on va doubler les impôts et que le Père Ubu viendra les ramasser lui-même.
TOUS : — Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable.
UN PAYSAN : — Mais, écoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte ?
UNE VOIX, au-dehors : — Comegidouille2 ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre et saint Nicolas ! ouvrez, sabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts !
La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion de Grippe-Sous.
SCÈNE IV
PERE UBU : — Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment te nommes-tu ?
LE PAYSAN : — Stanislas Leczinski.3
PERE UBU : — Eh bien, comegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles4. Mais, vas-tu m'écouter enfin ?
STANISLAS : — Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.
PERE UBU : — Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le désert ?
STANISLAS : — Loin de moi cette pensée.
PERE UBU : — Je viens donc de te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin à phynances5. (On apporte le voiturin.)
STANISLAS : — Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu.
PERE UBU : — C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois