Les onze mille verges ou les amours d'un hospodar
(1907)
Roman
Du Paris du début du XXe siècle au Port-Arthur de la guerre russo-japonaise de 1905, Mony Vibescu, « hospodar » roumain, qui se vante de pouvoir faire l'amour vingt fois de suite (et s'il n'y parvient pas, que onze mille verges le châtient !) voyage à travers l’Europe d’est en ouest jusqu’aux confins de l’Asie, enchaînant les rencontres et les amours improbables, explorant toutes les possibilités sexuelles possibles, laissant les ruines de ses orgies délirantes.
Commentaire
Cet écrit licencieux où l’humour noir et la farce érotique s’entrelacent dans un formidable pied de nez aux goûts de l’époque est un insoutenable classique de la littérature pornographique car il est d’une tenue littéraire inhabituelle en cette sorte d’écrits. Sous la forme d'un conte, il hésite entre la mode orientaliste et la veine du roman populaire. Certains de ses aspects portent bien la signature d’Apollinaire : le goût de l’équivoque (dans son titre même qui fait allusion à la légende de sainte Ursule, vierge et martyre du Ve siècle qui fut mise à mort par les Huns près de Cologne avec, dit la légende ce qu’Apollinaire appellera dans “Cortège” [poème d’“Alcools”] «la ribambelle ursuline», onze mille vierges rhénanes qu’elle avait endoctrinées, ce que racontait encore, au XVIIe siècle, le Père Crumbach, auteur d'une naïve “Ursula vindicata”, imprimée à Cologne ; en fait, le chiffre hautement improbable de onze mille viendrait d’une mauvaise lecture de « S. Ursula et XI M.V. » qui signifierait plutôt « sainte Ursula et onze martyres vierges »), une érudition ostensible, la composition par collage d’épisodes, le rire rabelaisien et l'humour décalé, de second degré, qui désamorcent l’horreur. L’itinéraire des personnages traverse, pour les profaner, des paysages chers au poète : «le panorama romantique du Rhin» contraste avec une orgie meurtrière ; le carnaval de Nice est l’occasion d’une rencontre