Lettre La Licorne
5, rue du Jasmin à DELAMARRE Louis
75000 PARIS organisateur de l'exposition
à Paris, le 13 janvier 1873
Monsieur,
Il y a déjà trois semaines, j'ai assisté à l'exposition que vous organisiez dans un quartier des plus chics de la capitale. Là-bas, mes amis bourgeois et moi avons pu nous extasier devant de nombreux tableaux, tous plus intéressants les uns que les autres. «La licorne» a suscité l'attention de nombreuses personnes, c'est d'ailleurs à son sujet que je me permet de vous écrire. En effet, j'ai été très surpris à la découverte de ce tableau dans une exposition réaliste. D'après ma conception du réalisme, une œuvre représentant une licorne n'a guère sa place ici. Cet animal étant purement fictif, je m'interroge sur votre conception du réalisme. Pour moi, le réalisme est une copie du réel, un reflet de la réalité, tel une photographie; déjà nos avis divergent. Pour ce qui est des couleurs, nos points de vue ne sont les mêmes. En effet, le noir, le gris et le blanc ne donnent pas une impression réaliste, elles ne représentent pas au mieux cette situation qui de toute façon n'est pas envisageable un seul instant. Des couleurs plus vives et davantage réalistes auraient été ici plus adéquates et appréciables. Ceci dit, en consultant cette œuvre, je me suis longuement interrogé sur la citation de monsieur BORGES que vous avez incluse à votre tableau. C'est en l'analysant que j'ai pensé que le réalisme pouvait s'étoffer stylistiquement en y incluant de nouvelles idées. En effet, on peut remarquer une certaine hésitation entre réalité, rêve ou fiction, ce qui laisse en moi le doute s’immiscer quant à la place faite à ce tableau dans l'exposition. Peut-être pourrions nous nous rencontrer afin de partager nos points de vue qui d'apparence divergente, ne sont peut-être pas si éloignés que nous le pensons.
Veuillez agréer, monsieur en l'expression de ma considération distinguée.