Lettres
Introduction : de l’évidence à l’énigme
L’évidence peut se formuler sous la forme d’un constat simple : je ne suis pas seul au monde, d’autres vivants sont là, m’entourent, anonymes ou plus connus et par définition, je suis un individu c'est-à-dire un être séparé des autres. On retrouve dans cette première affirmation un paradoxe : dans la proximité avec autrui qui m’entoure, je suis séparé. (Accents tragiques : être entouré et se sentir pourtant profondément seul. Christian BOBIN « La vie en société c’est parfois quand tout le monde est là mais qu’il n’y a personne. » drame de l’individuation, de la séparation, de la solitude dans la proximité)
La sexualité peut donner l’illusion que je peux échapper à cette séparation avec autrui, mais non, pas nécessairement. Georges BATAILLE : « mystère de l’individuation » -> illusion de fusion avec autrui qui peut nous plonger dans une solitude parfois indépassable. Individu superposable à la collectivité à laquelle il appartient, interchangeable (d’où bêtise totalitaire « il n’y avait personne, uniquement des individus ») tandis que la personne est unique, irremplaçable, mystère unique non-superposable Cf visage infiniment haut Lévinas. L’autre est ce que je ne suis pas, je ne suis pas ce qu’il est. De ce constat, nous pouvons pourtant faire surgir une énigme : nous avons beau être des individus, des anonymes, nous connaissons tous pourtant des expériences plus ou moins banales au ours desquelles souvent se révèlent ce que l’on pourrait appeler, l’étrangeté déconcertante de l’autre. Manière de dire que si nous sommes des individus séparés d’autrui, celui-ci n’est jamais face à moi comme un objet inerte, indifférent qui me laisserait totalement libre. Parce que je vis en groupe je ne suis pas omnipotent. Coexistence des libertés difficile, la présence d’autrui limite mes possibilités. Au cœur de ces limites surgit alors l’étrangeté déconcertante de l’autre. Imprévisibilité. Agressivité subite,