Laforgue et le « genre complainte » Dans plusieurs dictionnaires récents, Trésor de la Langue Française ou Larousse Universel, l’article « complainte » mentionne comme exemples privilégiés, après Rutebeuf (« Que sont mes amis devenus... ») ou Fualdès («Ecoutez, peuples de France... »)[1], le recueil laforguien de 1885. Mieux, le T.L.F., après une définition du genre[2] comme « chanson populaire à déroulement généralement tragique, ayant pour thème un sujet pieux ou les faits et gestes d’un personnage légendaire », nomme la complainte de saint Nicolas (« Ils étaient trois petits enfants... ») et, juste après, la « Complainte du roi de Thulé » de Laforgue d’après la correspondance de Jacques Rivière et Alain-Fournier, comme si elles étaient interchangeables. Paradoxalement, les complaintes de Laforgue semblent avoir contribué à relancer un genre déjà moribond, et ces cinquante et un poèmes sophistiqués, considérés comme hermétiques, sinon illisibles, par toute la critique (à commencer par l’article de Laforgue lui-même)[3] se trouvent confondus avec une poésie orale « naïve», dont la fraîcheur et la spontanéité étaient traditionnellement louées, non sans une certaine nostalgie passéiste. Contemporain de Laforgue, le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse présente la complainte de façon largement négative et méprisante. Elle y est donnée comme un genre obsolète, dénué de toute valeur littéraire. Son intérêt est avant tout documentaire : elle est contemporaine des événements qu’elle relate, comme c’est le cas des « complaintes du Désert » protestantes. Mais à présent, c’est-à-dire dans la deuxième moitié du XIXe siècle, « le goût est passé » de cette « littérature tintamarresque » ; « la complainte, sous toutes ses formes, paraît aujourd’hui définitivement abandonnée [...] et, considérant ce que ce genre est devenu, personne sans doute ne sera tenté de le regretter ». D’abord « douloureusement monotone » au Moyen