Modèles
Nouvelles pratiques, nouveaux enjeux
Michel Armatte et Amy Dahan Dalmedico*
Ce texte a pour objectif de confronter les discours théoriques sur le rôle des modèles mathématiques dans la connaissance, — discours produits à divers moments par les philosophes des sciences—, avec quelques pratiques effectives de modélisation dans des champs scientifiques. Ces derniers ont été choisis par ce qu'ils sont représentatifs d'un déplacement important des pratiques de modélisation dans les dernières décennies et qu'ils ont fait l'objet de recherches nouvelles. Notre enquête débute dans les années 1920 et 1930 qui voient naître les principales inventions dont vont se nourrir les pratiques de modélisation. Pourtant, si l'on ne confond pas invention et innovation, petite élite de précurseurs et pratique massive de la recherche, c'est bien la période consécutive à la deuxième guerre mondiale et jusqu’à la fin du XXe siècle qui est l'objet essentiel de nos investigations. L'argument essentiel du texte est le suivant : les discours sur les modèles qui prennent leur racine dans les travaux logicistes des années vingt et forment le socle épistémologique jusqu'aux années 1950 à 70 sont en décalage avec les pratiques constatées dans la même période. Certes, la modélisation mathématique de la physique aussi bien que la modélisation structurelle en économie (qui s'en inspire souvent) restent assez proches de la conception d'un modèle qui "représente" un réel capturé à la fois par une théorie et par une observation quantifiée, en bref d'un modèle qui joue le rôle d'instance intermédiaire de validation empirique d'une théorie[1]; mais on peut identifier plusieurs usages des modèles, — notamment dans les sciences de l'ingénieur, la recherche opérationnelle, les sciences de l'organisation, qui ne correspondent plus à cette vision première. Après 1980, il n'est plus possible de voir dans cette définition la forme dominante des pratiques de