Pensée & opinion chez deleuze
La doxa (l’opinion) est un type de proposition qui se présente de la façon suivante : étant donné une situation vécue perceptive-affective (par exemple, on apporte du fromage à la table du banquet), quelqu’un en extrait une qualité pure (par exemple, odeur puante) ; mais en même temps qu’il abstrait la qualité, il s’identifie lui-même à un sujet générique éprouvant une affection commune (la société de ceux qui détestent le fromage- rivalisant à ce titre avec ceux qui l’aiment, le plus souvent en fonction d’une autre qualité). La « discussion » porte donc sur le choix de la qualité perceptive abstraite, et sur la puissance du sujet générique affecté. Par exemple, détester le fromage, est-ce se priver d’être un bon vivant ? Mais, « bon vivant », est-ce une affection génériquement enviable ? Ne faut-il pas dire que ceux qui aiment le fromage, et tous les bons vivants ; puent eux-mêmes ? A moins que ce ne soient les ennemis du fromage qui puent. C’est comme l’histoire que racontait Hegel, la marchande à qui l’on a dit : « Vos œufs sont pourris, la vieille », et qui répond : « Pourri vous-même, et votre mère, et votre grand-mère » : l’opinion est une pensée abstraite, et l’injure joue un rôle efficace dans cette abstraction, parce que l’opinion exprime les fonctions générales d’états particuliers.[1] Elle tire de la perception une qualité abstraite et de l’affection une puissance générale : toute opinion est déjà politique en ce sens. C’est pourquoi tant de discussions peuvent s’énoncer ainsi : « moi en tant qu’homme, j’estime que toutes les femmes sont infidèles », « moi en tant que femme, je pense que les hommes sont des menteurs ».
L’opinion est une pensée qui se moule étroitement sur la forme de la recognition : recognition d’une qualité dans la perception (contemplation), recognition d’un groupe dans l’affection (réflexion), recognition d’un rival dans la possibilité d’autres groupes et d’autres qualités (communication). Elle donne à la