Penser c'est dire non
Penser c'est dire non de Alain
Première chose a faire est de donner la signification de penser : penser, c'est appliquer l'activité de son esprit aux éléments de la connaissance ; c'est exercer, avec justesse, une activité consciente, de manière à élucider le sens des choses et du réel. Il est nécessaire, d'autre part, d'approfondir l'expression « dire non » et, au-delà du « non » de simple rejet (celui de l'enfant, par exemple, qui, néanmoins, ne doit pas être sous-estimé), de discerner un « non », dont la fonction est éminemment critique, un « non » très proche de la « négativité », un « non » qui forme et crée la pensée et s'identifie à elle. "Penser, c'est dire non. Remarquez que le signe du oui est d'un homme qui s'endort; au contraire, le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n'est que l'apparence. En tous ces cas-là c'est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l'heureux acquiescement. Elle se sépare d'elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n'y a pas au monde d'autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c'est que je consens, c'est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C'est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit.Qui croit ne sait même plus ce qu'il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. Je le dis aussi bien pour les choses qui nous entourent. Qu'est-ce que je vois en ouvrant les yeux ? Qu'est-ce que je verrais si je devais tout croire ? En vérité une sorte de bariolage, et comme une tapisserie incompréhensible. Car c'est en m'interrogeant sur chaque chose que je la vois. Ce guetteur qui tient sa main en abat-jour, c'est un homme qui dit non. Ceux qui