Peut-on dire que le passé n’est jamais mort
Que signifie pour le rabbin que je suis de réfléchir à l’état de la laïcité telle qu’on la pratique aujourd’hui en France? Ma charge ne devrait-elle pas, de toute évidence, me situer du côté de ceux qui ne peuvent que se réjouir du regain de foi qui anime l’ensemble des communautés religieuses? Et, partant, ne devrais-je pas apprécier comme un juste retour des choses l’affaiblissement de la laïcité? Comme toujours, rien n’est si simple. Ce qu’on pourrait nommer la crise de la laïcité n’est qu’un symptôme de celle, plus générale, de notre société. Crise dite de la modernité, ouverte dès le XVIIIème siècle par la division entre les sciences exactes et la production d’une part, et le savoir proprement humain d’autre part: ce qui revient à séparer l’approche du réel et la relation à l’autre. Cette crise ne peut être résolue que dans l’équilibre de ces deux ordres. Le XXème siècle quant à lui peut se définir ainsi: c’est une époque de ruptures successives, marquée aussi par le totalitarisme, par la destruction des
particularismes et de la liberté de l’esprit; de même, elle se caractérise par la diabolisation des minorités, par les génocides et les nettoyages ethniques. L’histoire de notre siècle a bouleversé les histoires, malmené les mémoires et brisé les chaînes de transmission. Sur ce terrain miné, la vitesse d’évolution de la civilisation technologique, la surabondance “d’évènements” imposée par le système médiatique, éloignent chacun d’une prise directe sur le réel et rendent problématique la capacité des hommes à “vivre leur histoire” ensemble. La peur du vide, le manque de projet intellectuel ou spirituel, l’absence de sens dans une société dominée par la rationalité instrumentaliste ont des conséquences: d’une part les hommes ont davantage besoin de certitudes, voire d’évidences pour se rassurer, d’autre part l’exigence de partager réellement le monde avec d’autres hommes est reléguée au second plan. Il y a