Peut-on ne pas être soi-même ?
Introduction :
Peut-être convient-il de partir de l’évident paradoxe que constituerait le fait de ne pas être soi-même, c’est-à-dire de ne pas être ce ou celui que l’on est. Comment puis-je ne pas être ce ou celui que je suis ? Comment cela serait-il possible ? C’est une idée de prime abord absurde, irrationnelle et pour cause. Il y a, en effet, une contradiction patente, manifeste dans les termes. Cette proposition « Je ne suis pas moi-même » enfreint les règles les plus fondamentales de la pensée, les principes les plus élémentaires de la logique, à commencer par le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est : A = A) et celui dit « de non-contradiction » (« Une même chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être dans un même sujet », selon la définition qu’en donne Aristote). L’inconcevabilité, c’est-à-dire l’impossibilité logique de ne pas être soi-même, de ne pas être, « en même temps et sous le même rapport », ce que l’on est, semble donc ne pas laisser de place au doute et stigmatise la question posée comme un faux problème. Mais la citadelle intérieure du Moi, ce dénommé « for intérieur » qui est aussi un fort au sens de rempart, n’est-il pas constamment menacé d’agression et d’ingression, d’envahissement par des ennemis qui en l’occupant le corrompent et rendent le Moi comme étranger à lui-même, c’est-à-dire, au sens propre du terme, l’ « aliènent » (du mot latin alienus signifiant « étranger » et lui-même dérivé d’ alius, « autre ») ? Ainsi, l’ « être soi-même », c’est-à-dire, selon une première compréhension, la conscience de soi, ne serait pas une donnée immédiate de la conscience, quelque chose d’inné, un acquis, mais bien une conquête de soi sur soi-même et sur les ennemis du Moi. Dans un premier temps, nous verrons que le fait d’être soi-même n’a rien d’une évidence tant les menaces d’aliénation qui pèsent sur le Moi comme une épée de Damoclès sont