Pouvoir des signes
(Agir, revue de la Société de stratégie, n° 14, « Puissance et influence »)
Par François-Bernard Huyghe (Docteur d’Etat en Sciences politiques, Professeur à l’EGE)
MOTS CLES : Influence stratégique, Stratégie réseaux
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Influence, ce concept « roue de secours » est indispensable, mais à n’utiliser qu’en cas de panne. Le langage courant en fait un deus ex machina qui résout une situation défiant l’explication usuelle. X a mal tourné, ce doit être sous l’influence de Y (ou de l’alcool, ou de ses lectures). Tel journal a adopté telle position, sous l’influence des trotskistes ou des néo-libéraux qui l’infiltrent. Voilà pourquoi votre fille n’est pas muette : l’opinion parle sous influence des médias. Outre les comportements individuels, l’idée s’applique aux équilibres géopolitiques. Nous disons que tel pays est dans la zone d’influence de tel autre ou que tel État exerce une influence disproportionnée à sa puissance. Les actions de « l’influencé » vont dans le sens favorable à « l’influent ». Le consentement du premier aux desseins du second ne s’explique ni par la menace ni par la récompense explicites. Ni contrainte, ni contrat : l’influence se subit. C’est toujours une relation asymétrique. Ce peut être le résultat d’une stratégie indirecte, là où elle est délibérée. Alors que la puissance se mesure en termes de capacités, l’influence se constate après coup à des « performances » : en quoi elle affecte l’attitude d’autrui. Entre transmission et efficience
Cette bizarre notion psycho-stratégique pose la question de la relation influent/influencé. Les sciences sociales peuvent-elles nous aider ? L’embarras de la sociologie américaine, celle qui a le plus cherché à définir le concept, n’est pas encourageante. Des chercheurs comme Robert K. Merton ou Robert Dahl « tirent » l’idée dans le sens de la domination ou du pouvoir. Ils l’assimilent quasiment à la possibilité d’obtenir un comportement d’un individu ou d’un