Premier amour
Elle passa la porte du magasin, une légère appréhension lui tordant le ventre lorsque le carillon annonça son entrée d'une note claire et joyeuse. Le caissier, déjà occupé à servir un homme accompagné d'une petite fille, la gratifia d'un sourire commercial et l'invita d'un geste à parcourir les rayonnages d'elle-même. Lui assurant qu'elle avait compris d'un signe de tête, elle commença à déambuler dans la boutique, ses talons claquant sur le parquet lissé par les ans et le passage de centaines de paires de chaussures semblables aux siennes. Les étalages proposaient toutes sortes d'articles de seconde main, certains soigneusement rangés les uns à côtés des autres en un ordre savant dont la logique lui échappait, d'autres entassés dans un coin un peu plus sombre en un fatras en apparence inextricable.
Soudain, son cœur rata un battement. Il était bien là, sa mère ne lui avait pas menti. Comment avait-elle réussi à le retrouver après tant d'années ? Les recherches avaient dû être longues et difficiles avant de devenir fructueuses car, un jour, il avait tout simplement disparu sans crier gare ni laisser de trace et aucune de ses crises de larmes n'avait eu assez de force pour le ramener. Et pourtant, aujourd'hui, son premier amour se tenait face à elle, toujours identique au souvenir impérissable qu'elle avait gardé de lui, comme si l'usure du temps n'avait pu l'atteindre. Sa main, qui s'était faite frémissante au moment où elle l'avait aperçu, devint tremblante lorsqu'elle s'approcha de lui d'un pas hésitant. En un éclair, une foule de scènes qu'ils avaient passées ensemble s'imposèrent à sa mémoire : leurs jeux enfantins dans la maison de campagne de ses grands-parents, le jaune éclatant piqué de rouge des champs de colza estivaux parsemés de coquelicots hardis, le goût authentique du beurre de ferme du voisin, qu'elle dégustait à chaque fois avec un plaisir renouvelé. Et surtout, les longues nuits au cours desquelles il était impossible de