Rapport de stage en école maternel
District : Charenton / Maisons-Alfort
Animateurs: Brigitte REAUTE - René PAULIN
J'avais quatre ans. J'étais un enfant hypernerveux, sujet à convulsions, un écorché imaginaire, perpétuellement en proie à des maladies, les unes classiques, les autres totalement inédites, la plupart sans doute en partie d'origine psychosomatique( psychosomatique : d'origine psychique.). Un matin deux
5 inconnus firent irruption dans ma chambre : blouse blanche, calot blanc, au front le laryngoscope( laryngoscope : miroir permettant d'examiner l'intérieur de la gorge.) flamboyant. Une apparition de science-fiction ou de film d'épouvante. Ils se ruèrent sur moi, m'enveloppèrent dans un de mes draps, puis entreprirent de me déboîter la mâchoire avec un écarteur à vis. Ensuite la pince entra en
10 action, car les amygdales, cela ne se coupe pas, cela s'arrache, comme des dents. Je fus littéralement noyé dans mon propre sang.
Je me demande comment on ranima la loque pantelante( pantelante : abattue.) que cette agression ignoble avait fait de moi. Mais quarante-cinq ans plus tard, j'en porte encore les traces et je reste incapable d'évoquer cette
15 scène de sang froid. […] Un soudard( soudard : ici, brute grossière. ) aviné, armé jusqu'aux dents, ivre d'impunité, est moins dangereux pour l'humanité que certains chirurgiens, fussent-ils professeurs à la Faculté. Je dis qu'il est tragique qu'une brute imbécile de l'espèce de mon chirurgien n'eût pas été interdite dès son premier méfait et à tout jamais dans une profession
20 qu'il était aussi visiblement incapable d'exercer. Cet équarrisseur( équarrisseur : celui qui dépèce un animal mort.) s'appelait Bourgeois. C'était un praticien célèbre. C'est le seul homme au monde que je haïsse absolument parce qu'il m'a fait un mal incalculable, m'ayant tatoué dans le cœur à l'âge le plus tendre une incurable méfiance à l'égard de mes semblables, même les plus
25 proches, même les plus chers.