Le Voyage au bout de la nuit est une œuvre carrefour dans la production célinienne, qui procède à une synthèse entre une tradition mourante et une langue à venir. Proust termine le XIXème siècle sur le portrait d’une société déliquescente ; le siècle suivant s’ouvre avec le Docteur Destouches sur une vigueur nouvelle. Céline peut, à certains égards, relever, non pas de l’existentialisme, mais du « mouvement existentiel » théorisé par Henri Godard, en ceci que la réflexion sur l’existence humaine et sa condition résonne comme un incontournable centre de gravité dans Voyage au bout de la nuit. Cette réflexion est l’un des points-phares de toute la littérature célinienne. L’ouvrage de Céline situe son intrigue dans trois grandes zones géographiques : la zone française, la zone américaine, et la zone africaine. La zone américaine se focalise sur New-York et principalement à Manhattan. La zone française est partagée entre Montmartre d’abord, puis le front, et à la fin après les pérégrinations du narrateur, le retour à Paris. Enfin, la zone africaine, qui nous préoccupe ici. Le narrateur, carabin déchu, c’est-à-dire ancien étudiant en première année de médecine qui a échoué, engagé volontaire en 1914 dans le régiment des Dragons, retiré du front pour blessure grave, prend un bateau pour la côte Ouest de l’Afrique. Le voyage jusqu’en Afrique, à bord de l’Amiral-Bragueton et son court séjour à Fort-Gono confirment à Bardamu que la souffrance et la guerre sont partout, et que lutter sera indispensable. Perdu au cœur de la forêt tropicale, Bardamu est confronté à la brutalité du climat, à la bêtise des colons. il s'installe au comptoir de Bikobimbo et retrouve Robinson, un personnage déjà rencontré sur les champs de bataille. Il arrive dans la ville portuaire, ensuite dans les profondeurs équatoriales, qui entourent la situation du passage d’une épaisse couche de forêt dense. Il tente de se souvenir de cet homme familier. Employé de la Compagnie-Pordurière, Bardamu sera au