Roman et mythe
La dualité complémentaire du social et de l’individuel ne caractérise pas seulement les contenus, les thèmes, la substance du roman : elle appartient consubstantiellement au romanesque en tant qu’ouvrage, en tant que fait de culture et de civilisation. À moins de jouer sur les mots, et de ranger dans le romanesque les aventures d’Ulysse, les exploits de Gilgamesh ou encore les innombrables légendes ou récits populaires qui constituent le fonds de toutes les cultures, le roman se présente comme une œuvre assez longue, écrite par un seul auteur (à de rares exceptions près) et qui est destinée à une lecture individuelle, ou du moins “ privée ”. Le couple écriture-lecture caractérise avant tout le roman. Manuscrit ou imprimé, et presque toujours signé, le roman est de l’ordre du livre, de l’ordre aussi de la prose. Même rédigé en vers (le Roman de la Rose ), un roman fait pencher les symboles du poétique vers les aspects prosaïques (quotidiens, familiers, utiles, sociaux en un mot) de l’existence. Mais, en deçà même de ces traits formels fondamentaux, le roman a pour caractère primordial d’être écrit par un auteur qui sait, et fait savoir à son lecteur, que son ouvrage se compose de faits imaginés, et qui pourtant concernent ou reflètent l’existence concrète, terrestre des hommes. “ Un romancier écrit des fictions consciemment ”, observe Luxun dans son Histoire du roman chinois. En d’autres termes, l’écrivain romanesque sait et montre qu’il y a opposition, ou du moins différence radicale, entre le monde réel (la société) et l’univers magique, ou divin.
Aussi bien le roman est-il un genre tardif. Il apparaît dans les groupes sociaux qui sont en voie d’abandonner la pensée mythique et se séparent d’un ordre politique et social à référence théologique. Dans le mythe, le règne des hommes, celui de la nature et celui du surnaturel composent un espace cosmique global dont les éléments se combinent entre eux. Le temps du mythe est cyclique, récurrent. Le