Rugby, poème gestuel
Alain FOIX Dramaturge, philosophe 25 octobre 2011 à 00:0
TRIBUNE
Comme au sortir d’une mêlée, j’émerge ébouriffé et défrisé de cette finale de la Coupe du monde de rugby que nous a offert l’Eden Park Stadium d’Auckland. A l’affiche, France contre All Blacks. Les All Blacks ! Ce mot me fait courir un frisson par tout le corps. Ce mot me couvre du maillot numéro 14, celui d’un trois- quart aile droite trempé de sueur adolescente.
J’ai 18 ans, et mes quatre- vingt-cinq kilos sont lancés à 40 km/h dans un étroit couloir bordé d’une demi-tonne de muscles et de rage tentant de m’empêcher d’écraser derrière la ligne adverse cet œuf de poule que je porte sous le bras.
La ligne française en blanc et la ligne Black en noir, un jeu d’échecs sur tapis vert. Un jeu d’échecs tout en muscles et mouvements, en folles diagonales, en hommes tours, en hommes chevaux courant en zigzagant. Un jeu d’échecs sans roi ni reine, aux règles claires et sans appel, à la confrontation directe. Un jeu aux sources moyenâgeuses où les buts érigés en «H» majuscules font figure de châteaux forts. Un jeu qui, comme les échecs, ne cache pas sa symbolique de guerre. Un jeu qui joue la guerre pour ne jamais la faire. Et avec les All Blacks, tout commencera par un poème. Un poème gestuel qu’on attend dans un frisson, qui donne à cette confrontation sa dimension rituelle. C’est le haka qui fait penser au «waka», cette forme poétique japonaise qui a donné naissance aux fameux haïkus.
Celui des All Blacks fut écrit par le chef maori Te Rauparaha en hommage à un autre chef, Te Wharerangi
(connu pour sa pilosité abondante), qui l’aida à échapper à une tribu ennemie lancée à ses trousses et le sauva d’une mort certaine. Voici donc ce que dansent les All Blacks, guerriers maoris, face aux lignes ennemies :
«Frappez des mains sur les cuisses / Que vos poitrines soufflent /Pliez les genoux / Laissez vos hanches suivre le rythme / Tapez des pieds aussi fort que vous