Scene 3 marivaux
L'île des Esclaves, Scène 03 1 | Cléanthis : Madame se lève ; a-t-elle bien dormi, le sommeil l'a-t-il rendu belle, se sent-elle du vif, du sémillant dans les yeux ? vite sur les armes, la journée sera glorieuse : qu'on m'habille ! Madame verra du monde aujourd'hui ; elle ira aux spectacles, aux promenades, aux assemblées ; son visage peut se manifester, peut soutenir le grand jour, il fera plaisir à voir, il n'y a qu'à le promener hardiment, il est en état, il n'y a rien à craindre.
Trivelin, à Euphrosine : Elle développe assez bien cela. | 5 | Cléanthis : Madame, au contraire, a-t-elle mal reposé ? Ah ! qu'on m'apporte un miroir ! comme me voilà faite ! que je suis mal bâtie ! Cependant on se mire, on éprouve son visage de toutes les façons, rien ne réussit ; des yeux battus, un teint fatigué ; voilà qui est fini, il faut envelopper ce visage-là, nous n'aurons que du négligé, Madame ne verra personne aujourd'hui, pas même le jour, si elle peut ; du moins fera-t-il sombre dans la chambre. Cependant il vient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visage de Madame ? on croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-là à ses bonnes amies ? non, il y a remède à tout : vous allez voir. Comment vous portez-vous, Madame ? Très mal, Madame : j'ai perdu le sommeil ; il y a huit jours que je n'ai fermé l'oeil ; je n'ose pas me montrer, je fais peur. Et cela veut dire : Messieurs, figurez-vous que ce n'est point moi, au moins ; ne me regardez pas ; remettez à me voir ; ne me jugez pas aujourd'hui ; attendez que j'aie dormi. J'entendais tout cela, moi ; car nous autres esclaves, nous sommes doués contre nos maîtres d'une pénétration... Oh ! ce sont de pauvres gens pour nous.
Trivelin, à Euphrosine : Courage, Madame, profitez de cette peinture-là, car elle me paraît fidèle.
Euphrosine : Je ne sais où j'en suis. | 10 |
Cléanthis : Vous en êtes aux deux tiers, et j'achèverai, pourvu que cela ne vous ennuie pas.
Trivelin : Achevez,