Séquence 3 phèdre, racine
Phèdre, Racine
Acte I, scène 3, vers 259-316
OENONE
Aimez-vous ?
PHÈDRE De l’amour j’ai toutes les fureurs.
OENONE
Pour qui ?
PHÈDRE Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…
OENONE Qui ?
PHÈDRE Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?
OENONE
Hippolyte ? Grands Dieux !
PHÈDRE C’est toi qui l’as nommé.
OENONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux ?
PHÈDRE
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen, je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble se leva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai des chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, Oenone