Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle
Ma petite Marguerite,
je t’écris ce courrier afin de te faire part de mes impressions quant à la publication de ton livre, Un barrage contre le Pacifique. Je l’ai lu dès que tu m’as fait parvenir un exemplaire de cet ouvrage. Je peux te confier, sans vouloir t’offenser, que j’ai été très déçue et quelque peu contrariée. Ce récit, que tu fais passer pour un récit en partie autobiographique rassemble beaucoup de choses incohérentes, scandaleuses et navrantes.
Tout d’abord, le personnage que tu prénommes « la mère » et qui est censé être mon portrait est une vexante invention de ta part. Une invention qui me fait passer pour quelqu’un de perturbée, une femme violente, résignée. Tu racontes que Suzanne, cette jeune fille qui est supposée être ton sosie fictif, subit les coups que lui porte sa mère, une mère qui est dépeinte comme agressive. Ai-je déjà levé la main sur toi ? T’ai-je déjà montré quelconque signes d’animosité ? Je cite : « La mère s’élança vers sa fille et essaya de la gifler » ou encore
« Elle s’était jetée sur elle et elle l’avait frappée avec les poings de tout ce qui lui restait de force » Je trouve la scène où la mère est saisie de crises et qu’elle se met à battre sans cesse Suzanne pendant des heures particulièrement dramatique.
J’ai toujours fait de mon mieux afin de t’apporter douceur, sérénité et amour. Et toi, dans ce livre, tu expliques que ma vie se résume à des crises de démence, des cachets à longueur de journée et de longs sommeils. Tout cela est extrêmement consternant pour une femme active comme je l’ai été. Je me suis démenée corps et âme toute mon existence afin de préserver au mieux les intérêts de la famille Donnadieu. Je n’ai cessé de combattre toutes les injustices du destin. Tu me qualifies de mère fatiguée par les aléas de la vie. Dans ton récit, on peut lire : « Suzanne l’entendait geindre sans la voir » et aussi « Elle