Mon rêve familier,

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrantD'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la mêmeNi tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparentPour elle seule, hélas! cesse d'être un problèmePour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle aL'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine ( poèmes saturniens)

Commentaires :

Il parle d'une femme qui est pour lui « inconnue » ce terme est important car il conforte l'image d'une femme insaisissable et mystérieuse, il entretient une relation avec elle et procède à une élimination de ce qu'elle est, au sens de serait,et ce qu'elle n'est pas. C'est sa façon à lui de déterminer cet être qui le dépasse et dont il en est éperdument amoureux . Il parle d'une femme idéale . Il est apodictique de préciser que la femme est un thème indispensable chez les poètes saturniens. La création artistique de Verlaine est provoquée par la grâce que lui donne le regard de sa muse. On retrouve ici l'éternel thème de l'inspiration poétique. Verlaine cherche une image de la femme qui lui échappe, dont il n'arrive pas à cerner les traits caractéristiques. D'emblée, cette recherche est placée sous le signe de la subjectivité. Il ne s'agit pas du rêve d'une rencontre possible mais au contraire de celui d'une rencontre impossible. La femme de Verlaine manque de précision, elle est envisagée d'une façon globale et abstraite. la souffrance qu'il éprouve est entrevue dans le premier quatrain et va se poursuivre et s'amplifier dans le second quatrain et le premier tercet. Il se dit au fond d'une abîme de souffrance,Verlaine