Verlaine
PAUL VERLAINE
Le vent dans la plaine
Suspend son haleine.
FAVART.
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois,
Parmi l’étreinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.
O le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitée expire…
Tu dirais, sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C’est la nôtre, n’est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?
Paul Verlaine
Romances sans paroles,
Ariettes oubliées, I.
« C’est l’extase langoureuse » ouvre le recueil des Romances sans paroles de Verlaine. Le titre de ce recueil paru en 1874 est emprunté à un vers des Fêtes galantes : « Mystiques barcarolles, romances sans paroles ». Ce vers associe les romances aux chansons des bateliers et des gondoliers et s’inspire du titre allemand Lied ohne Worte donné par Mendelssohn à un recueil de pièces brèves pour piano qui répondent à l’idéal vocal du piano romantique. « C’est l’extase langoureuse » est également le premier poème de la section intitulée ‘Ariettes oubliées’. Ce deuxième titre signale lui aussi la brièveté de la forme adoptée ainsi que les intentions musicales. Ce premier poème est donc un petit air à chanter et s’il est oublié, c’est peut-être parce qu’il appartient à une époque révolue comme le laisse entendre l’épigraphe de Favart, librettiste français du 18° siècle. Comment ne pas songer aussi à la prédilection de Rimbaud pour les littératures démodées, les opéras vieux, les refrains niais, les rythmes naïfs ? Publiée pour la première fois en mai 1872, la première ariette sans titre fait entendre un murmure mystérieux de voix dans une nature champêtre. Dans cette chanson à la fois tendre et plaintive, affleure une anecdote amoureuse, une aventure sentimentale dont le poète ne livre