Déporté à Buchenvald en 1943, Semprun mettra de nombreuses années à prendre la décision de relater son expérience. L'alternative du titre de son livre correspond au choix difficile d'écrire après avoir vécu une expérience concentrationnaire. Il (1) avait tourné les talons et m'accompagnait jusqu'au châlit (2) de Maurice Halbwachs (3). - Dein Herr Professor, avait-il chuchoté, kommt heute noch durch's Kamin ! (4) J'avais pris la main de Halbwachs qui n'avait pas eu la force d'ouvrir les yeux. J'avais senti seulement une réponse de ses doigts, une pression légère : message presque imperceptible. Le professeur Maurice Halbwachs était parvenu à la limite des résistances humaines. Il se vidait lentement de sa substance, arrivé au stade ultime de la dysentrie qui l'emportait dans la puanteur. Un peu plus tard, alors que je lui racontais n'importe quoi, simplement pour qu'il entende le son d'une voix amie, il a ouvert les yeux. La détresse immonde, la honte de son corps en déliquescence y étaient lisibles. Mais aussi une flamme de dignité, d'humanité vaincue et inentamée. La lueur immortel d'un regard qui constate l'approche de la mort, qui sait à quoi s'en tenir, qui en a fait le tour, qui en mesure face à face les risques et les enjeux, librement : souverainement. Alors, dans une panique soudaine, ignorant si je puis invoquer quelque Dieu pour accompagner Maurice Halbwachs, conscient de la nécesssité d'une prière, pourtant, la gorge serrée, je dis à haute voix, essayant de maîtriser celle-ci, de la timbrer comme il faut, quelques vers de Baudelaire. C'est la seule chose qui me vienne à l'esprit. Ô mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre... Le regard de Maurice Halbwachs devient moins flou, semble s'étonner. Je continue de réciter. Quand j'en arrive à ... nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons, un mince frémissement s'esquisse sur les lèvres de Maurice Halbwachs. Il sourit, mourant, son regard sur moi,