l'amant de Marguerite Duras
1469 mots
6 pages
Introduction Marguerite Duras occupe une place particulière dans la production romanesque contemporaine.En effet, dès 1950, date de publication d'Un Barrage contre le Pacifique, elle délaisse les canons habituels de l'écriture romanesque (narration, description, rendu des personnages) au profit d'un style ondé sur la primauté du dialogue, qui tente de restituer un monde intermédiaire, entre le dit et le non-dit des pensées souterraines de chacun.Ces lignes de force s'affirment particulièrement dans cet extrait de L'Amant, roman autobiographique publié en 1984, qui évoque les amours d'une jeune fille blanche et d'un riche banquier chinois au Viêt-Nam français.Dans ce passage constituant l'incipit du roman, Marguerite Duras reprend le topo de la «première rencontre ». lecture Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m'a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »
Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n'ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C'est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m'enchante.
Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu'il y avait