l'ennemi
Le temps est l'une des plus obsédantes composantes du spleen de Charles Baudelaire (« L'horloge », « le goût du néant »). Omniprésent, étouffant, il se révèle douloureusement à chaque étape de la vie en y imposant un bilan désespérant. La personnification, l'utilisation de la majuscule et de l'article défini font de lui, par excellence, le monstre que l'homme doit craindre. Le temps entretient avec l'homme et en particulier avec le poète (qui se met en cause personnellement dans le texte) des liens de domination quasi vampirique et le maintient dans un état d'aliénation qui brise toute espérance et toute forme d'inspiration.
Le poème L'ennemi souligne qu'il est donc doublement redoutable sur le plan humain et sur le plan poétique.
Le sonnet est construit sur une métaphore filée : - Premier quatrain : La jeunesse est comparée à un été bouleversé par les vicissitudes du temps. - Deuxième quatrain : Le bilan négatif de la maturité, qui est comparée à l'automne. On note l'annonce de la mort. - Premier tercet : Espoir d'un renouveau qui s'apparente au printemps. - Deuxième tercet : démenti catégorique : la présence destructrice du temps s'oppose à tout développement et à toute croissance nouvelle (=l'hiver).
Lecture du poème L'ennemi
X - L'ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
- O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
Charles