S'engager est-ce renoncer sa liberté?
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Introduction
L’indétermination et l’absence de contrainte sont les conditions de possibilité de la liberté.
Or, tout engagement, qu’il soit politique, amoureux, professionnel ou plus largement existentiel, est nécessairement déterminant et contraignant. On dit d’un contrat de travail qu’il « lie » le salarié à son employeur, ou d’une promesse qu’elle « lie » la personne qui l’a faite à celle qui l’a reçue. Le verbe « lier », en renvoyant à l’idée de liens, donc de chaînes, donc d’enchaînement, indique assez le caractère liberticide de l’engagement.
Avec quelles déterminations, ou quel déterminisme, la liberté est-elle compatible ?
I/ L’engagement abolit la liberté
Si être libre, c’est faire ce qui nous plaît, alors il est évident que s’engager, c’est renoncer à sa liberté. En effet, nos engagements nous engagent sur le long terme et exigent de nous un minimum de constance, à la différence du plaisir qui rive l’homme à la pure jouissance de l’instant présent et le pousse à la plus extrême inconstance, tant il est vrai que le désir change vite d’objet. Ainsi, l’engagement et la liberté correspondent à deux temporalités qui s’opposent diamétralement (long terme, durée/court terme, instantanéité).
Si l’on retient la définition scolastique de la liberté comme liberté d’indifférence (= état de celui qui n’est déterminé à rien et par rien), alors il est évident qu’être libre, c’est refuser de s’engager. Mais l’on ne peut jamais refuser totalement l’engagement, car exister, c’est essentiellement être engagé. Reste à l’individu la possibilité de s’engager de telle sorte qu’il ne s’engage à rien, c’est-à-dire de se déterminer de telle sorte qu’il reste aussi indéterminé qu’au commencement dans la mesure où il a toujours le loisir de revenir sur ses choix et de rompre ses engagements. Dom Juan choisit de ne pas choisir, qu’il se détermine à l’indétermination, qu’il s’engage à ne jamais s’engager