Étapes idéologiques d'un roman
“ Le roman, a observé Roland Barthes, est un acte de sociabilité. Il institue la littérature. ” Tragique ou religieux, le théâtre instaure une communion. Le roman, lui, est une œuvre de communication, et ses aspects “ institutionnels ” sont de plus en plus manifestes de ses origines à nos jours. À l’époque des Lumières, le roman transmet cet “ esprit des lois ” que la Révolution cristallisera et trahira tout ensemble. L’humanisme, le libéralisme moderne doivent au roman une grande part de leur force et de leur ascendant. Les termes de “ littérature ” et de “ roman ” sont presque synonymes dans les sociétés contemporaines, où le roman constitue l’essentiel de ce qu’il faut nommer le marché de la lecture. Le système des prix littéraires institutionnalise le roman, et, depuis le XIXe siècle, la production romanesque est liée de façon très étroite à la production économique proprement dite : l’œuvre de Balzac, de Dickens, de Jules Verne eût été différente s’ils n’avaient pas été des écrivains sous contrat.
Pourtant, la signification rigoureusement sociologique du roman ne laisse pas de poser des problèmes complexes. “ L’œuvre d’art, écrit Pierre Bourdieu, sous-entend ce qui la soutient ” : cela est vrai du roman comme de la peinture. Qu’il s’agisse du Père Goriot ou du Mystère de la chambre jaune , on ne lit pas une société dans le roman : on la déchiffre. Pour répondre à la question : quelle connaissance des sociétés peut-on attendre du roman ? il faut la diviser en deux niveaux essentiels, l’un idéologique, l’autre spécifiquement sociologique. En présence du roman, le sociologue se demandera dans quelle mesure y sont projetés les idéaux, les désirs, les appréhensions d’une société, ou plutôt ceux de ses couches dominantes. Il étudiera, d’autre part, comment le roman traduit l’existence même d’une société : ses différents groupes ou niveaux, les relations interpersonnelles qui s’y développent. Mais, dans l’un comme dans l’autre de