Commentaire de : andré breton, nadja, pp. 71-73
Introduction
C'est le 4 octobre 1926 qu'André Breton, qui a fondé en 1924 le mouvement surréaliste avec Aragon et Éluard, rencontre à Paris la mystérieuse Nadja. S'ensuit une relation amoureuse compliquée, où Nadja fait bien davantage figure d'inspiratrice que de maîtresse. Dans ce texte très visuel, ponctué de photographies, qu'est Nadja, la jeune femme est d'abord une personne qui a été vue, repérée par Breton, et dont l'existence procède du regard : c'est ce que nous constaterons en première partie. En deuxième lieu, nous tenterons de comprendre ce que Nadja représente pour Breton, et quels espoirs il place en elle. Enfin, en troisième partie, nous réfléchirons sur le caractère surréaliste de ce texte.
I La vue, le regard, les yeux
André Breton se promène rue Lafayette, à Paris. Il nous indique qu'il est « désœuvré » et qu'il observe les passants, « sans le vouloir ». Dans une sorte de démarche inconsciente qui lui est familière, il regarde, il scrute, et c'est en portant son regard un peu plus loin qu'il aperçoit une jeune femme qui marche, « la tête haute ». Elle aussi l'a remarqué. Ils se sont repérés de loin. C'est par cette réciprocité des regards que commence leur relation. Breton insiste là-dessus, utilisant la répétition du verbe voir : « me voit ou m'a vu ». À ce moment de la narration, Breton s'interrompt pour décrire les yeux de la jeune femme, et notamment son maquillage, lequel lui rappelle celui d'une comédienne, Blanche Derval, qu'il a vue au théâtre. Cette ressemblance, ces yeux légèrement fardés, ce côté apprêté (même si Nadja est « très pauvrement vêtue ») attirent André Breton : il use de quatorze lignes de description pour détailler la manière dont cette inconnue est maquillée ! Aussitôt il songe à aborder la jeune femme en pleine rue, ce qui ne se faisait guère à l'époque. Loin de s'enfuir, Nadja lui répond, et lui sourit ; Breton