Confusion
Armand Mattelart : La « société de l’information » constitue une catégorie toute faite, entérinée sans inventaire préalable des citoyens. C’est au cours des années 1990 que le vocable « société de l’information » s’est donné d’évidence dans les médias destinés au grand public. L’irruption d’Internet comme réseau d’accès public l’a propulsé. Mais cette ascension fulgurante ne doit pas faire oublier la longue période de sa gestation depuis la fin du second conflit mondial, ni les agents et les processus à l’oeuvre dans sa formation.
En prolégomène de cette généalogie tortueuse, il y a une promesse, une utopie : « Eviter que l’humanité ne replonge dans le monde de Bergen-Belsen et de Hiroshima ». La circulation sans entraves de l’information devait être garante d’une nouvelle société, transparente et décentralisée. C’est l’espoir que l’Américain Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique, dépose dans la nouvelle matière première, l’information, liée aux machines intelligentes, annonciatrice d’une nouvelle « révolution industrielle ». Il n’est toutefois pas dupe. Contre l’avènement d’une telle société conspirent les logiques de l’exclusion sociale, la concentration des moyens de communication, le poids du « cinquième pouvoir » - le marché - et l’appropriation militaire de la science. Tous des facteurs qui favorisent l’entropie. La Guerre froide ne tardera pas à frustrer la vision